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Rasputain
19 décembre 2009

Des Homards et des Hommes

Je le disais voilà peu : comment parler de Bernanos sans son génie ? La question est ici sensiblement différente : comment rendre hommage à Vialatte sans sa finesse, son humour intelligent et loufoque à la fois, son sens du rythme, sa maîtrise de l’absurde… Enfin bref, son panache ?

Alexandre Vialatte nous a hélas gratifié de très peu de romans, et si sa renommée a atteint vos oreilles ce sera peut-être pour ses talents de traducteur, qui lui ont valu le titre enviable de Meilleur Traducteur français de Kafka. NDLR : enfin les Kafkaïstes hardcore le renient vu que le traducteur n'a ici pas su tout à fait s'effacer comme il se doit devant le Maître. Quelle bandes de branques j'vous jure, z'ont qu'à apprendre le chleuh s'ils sont pas contents !
Ahem. 
Ouuh alooooors, comme moi votre attention aura été attirée par l'amour plumiti-filial que lui vouait Desproges et ses chroniques sur la Natuuuuure dans diverses éditions des hautes cîmes telles que Montagne Mag.

D’aucuns considèrent ses élucubrations rurales d’une sympathie bonhomme, comme une sorte d’hybride entre F’murr et Pagnol. Grosse erreur chers lecteurs - car j'ose te parler au pluriel, oui j'ose ! - Vialatte est avant tout un observateur attentif de l’espèce humaine, que dis-je, un sociologue sagace et goguenard (l’un n'allant pas sans l’autre).
Ainsi l’objet de son attention n’est pas tant le monde des bêtes. Ou disons plutôt que dans le monde des bêtes se trouve un drôle d'oiseau qu'on appelle l’homme.
Sans plus attendre, je vous sers son homard, tiré du Bestiaire qui rassemble à titre posthume certaines de ses chroniques animalières, ponctuées de ci de là d’illustrations d’Honoré.

Et joyeux Noël à nos amies les ouailles !   

***

Le homard est un animal paisible qui devient d'un beau rouge à la cuisson. Il demande à être plongé vivant dans l'eau bouillante. Il l'exige même, d'après les livres de cuisine. La vérité est plus nuancée. Elle ressort parfaitement du charmant épisode qu'avait rimé l'un de nos confrères et qui montrait les démêlés d'un homard au soir de sa vie avec une Américaine hésitante :

"Une Américaine

Etait incertaine

Quant à la façon de cuire un homard.

- Si nous remettions la chose à plus tard ?...

Disait le homard

A l'Américaine."

On voit par là que le homard n'aspire à la cuisson que comme le chrétien au Ciel. Le chrétien désire le Ciel, mais le plus tard possible. Ce récit fait ressortir la présence d'esprit du homard. Elle s'y montre à son avantage. Précisons de plus que le homard n'aboie pas et qu'il a l'expérience des abîmes de la mer, ce qui le rend très supérieur au chien, et décidait Nerval à le promener en laisse, plutôt qu'un caniche ou un bouledogue, dans le jardin du Palais-Royal. Enfin, le homard est gaucher. Sa pince gauche est bien plus développée que sa pince droite. A moins toutefois qu'il n'ait l'esprit de contradiction, et, dans ce cas, sa pince droite est de beaucoup la plus forte. De toute façon il n'est pas ambidextre. Ou plutôt il l'est en naissant. Mais il passe sa vie misérable à se coincer les pinces dans toutes sortes de pièges. Si bien qu'il les perd constamment. Tantôt c'est l'une tantôt c'est l'autre. Comme elles repoussent au contraire des bras de l'homme (le bras de l'homme ne repousse jamais), la dernière en date est plus petite, si bien que le homard ressemble au célèbre empereur Guillaume II, qui avait un bras plus petit que l'autre. Il ne put jamais se servir également des deux mains.

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Rasputain
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