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Rasputain
15 novembre 2009

Journal d'un curé de campagne

Ce bouquin, je voulais tellement en parler que je n’y arrivais pas. Comment parler de Bernanos sans son génie ?
Pour l'heure je n’ai pas vraiment résolu le problème, mais je m’en vais, tel ce petit curé de campagne, essayer de me délivrer de la chose en la sachant impossible, dans l’humilité et la simplicité.

De but en blanc vous vous dites que vous n’êtes ni curé ni nonne, ni même croyant, et encore moins un ange. Vous vous dites en tous cas que vous n'entendez rien à la bigoterie et que ce bouquin n’est probablement pas pour vous. Mais peut-être revêt-il quelque intérêt documentaire, après tout.
En tout cas le volume n’est pas bien épais et dès les premières pages le décor est planté en caméra subjective : des tableaux sacrément bien léchés d’une morne campagne française, où tombe de ces pluies fines qu’on avale à plein poumons, qui vous descendent jusqu’au ventre. Et les pages s’enchaînent lentement, au rythme de cette paroisse qui prend vie dans sa monotonie ordinaire.
Pourtant la vie lisse du jeune prêtre a tôt fait de se révéler dense et complexe, et elle vous happe en plein effort ; c’est là qu’intervient le génie de Bernanos. Car assez vite vous n’êtes plus en train de le lire ni de violer la pieuse intimité de son personnage, si grave dans sa naïveté, démêlant ses convictions de sa condition. Non, c’est le curé qui vous voit de l’intérieur, embrasse le monde et vous avec lui. La position intenable de l’homme face à sa conscience, l’éphémère de l’existence, sa beauté effrayante, sa cruauté confortable, sa solitude... Tout ces crépitements sourds et muets de l’âme prennent forme en peu de mots.
Maintenant je ne vais pas mentir, ce n’est pas un hasard s’ils sortent de la bouche d’un curé. Définitivement incapable d’envisager l’absence de foi, l’athéisme n’est pour lui qu’errements de l’âme dans quelque recoin sombre sous l’emprise du mal, qu’il jauge avec une pitié sincère. L’athée la trouvera révoltante et le nihiliste risible mais le lecteur doit se parer de cette même condescendance. Ça lui chatouille l'orgueil bien sûr, mais la méfiance céde vite devant la simplicité désarmante de Monsieur le curé. Il faut surtout se laisser faire, car on ne s'y paume pas, on s'y trouve, et c’est bien là le seul tour de séduction de Bernanos.

"Hier, déjà, au marché, des paysans qui m’auraient jadis saluée jusqu’à terre, faisaient semblant de ne pas me reconnaître.
- Ne les reconnaissez pas non plus. Soyez fière !
- La fierté, toujours la fierté ! Qu’est-ce que la fierté d’abord ? Je n’avais jamais pensé que la fierté fût une des vertus théologales… Je m’étonne même de trouver ce mot là dans votre bouche.  
- Pardon, lui dis je, si vous voulez parler au prêtre, il vous demandera l’aveu de vos fautes pour avoir le droit de vous en absoudre.
- Je ne veux rien de pareil. 
- Permettez moi donc alors de m’adresser à vous dans un langage que vous pouvez comprendre. 
- Un langage humain ? 
- Pourquoi pas ? Il est beau de s’élever au-dessus de la fierté. Encore faut-il l’atteindre. Je n’ai pas le droit de parler librement de l’honneur selon le monde, ce n’est pas un sujet de conversation pour un pauvre prêtre tel que moi, mais je trouve parfois que l’on fait trop bon marché de l’honneur. Hélas ! Nous sommes tous capables de nous coucher dans la boue, la boue paraît fraîche aux cœurs épuisés. Et la honte, voyez-vous, c’est un sommeil comme un autre, un lourd sommeil, une ivresse sans rêves. Si un dernier reste d’orgueil doit remettre debout un malheureux pourquoi y regarderait-on de si près ?
- Je suis cette malheureuse ?
- Oui, lui dis je. Et je ne me permets de vous humilier que dans l’espoir de vous épargner une humiliation plus douloureuse, irréparable, qui vous dégraderait à vos yeux pour toujours."

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Commentaires
R
Ah oui tiens, je ne l'ai pas lu celui-ci, merci du conseil. La "nouvelle histoire de Mouchette" passe plutôt inaperçu mais vaut vraiment la peine d'être lue également, ne serait-ce que pour l'écriture.
T
Si tu as aimé ce livre je te conseille vivement "Mr Ouine", l'ultime roman de Bernanos qui mérite vraiment le détour !
Rasputain
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